TRAVERSéE FLUX 
ORAGE 
ATTERRISSAGE 
CARAPACE
J'ai l'habitude de prendre cette gare comme point de chute parce que c'est la gare de la ville dans laquelle mes parents habitent. Pour la traverser je dois descendre dans un tunnel bas de plafond, qui semble assez étroit à cause de sa non-hauteur, qui dégage une odeur peu agréable, comme si l'air ne circulait pas, un mélange de transpiration, d'urine, de pollution. L'air pourrait presque devenir noir ou marron s'il le voulait, contenir des particules colorées de noir ou de marron. En sortant du tunnel, je tombe sur une grande place, toute neuve, utilitaire, sans charme aucun, où se garent les bus et où attendent les gens avant de monter dans ces bus. Sur le côté il y a un vieil immeuble que je longe en général pour rentrer chez mes parents, un squatte avec des fenêtres murées, des fenêtres vitrées et des fenêtres sans vitres, des fils électriques qui vont de fenêtres en fenêtres, sur lesquelles des fois et assez souvent, des vêtements sèchent. Il y a des balcons avec des tapis, des serviettes de bain, des arrosoirs mais pas de plantes. En passant je ne vois jamais personne et il n'y a jamais de lumière qui sort de ces fenêtres. Le bâtiment transpire. La pauvreté sort des fentes présentes sur les murs. Elle sort et se montre. Tout le monde sait. Tout le monde sait que le bâtiment est pauvre de matériaux durables, que les gens dedans que personne ne voit jamais sont pauvres d'objets, que la lumière ne vient jamais jusqu'à eux.
Cet après-midi là, les aménagements de la gare viennent d'être finis, elle me paraît flambant neuve, avec son tunnel propre qui sent la javel et le chlore, son pont à cinq sorties qui surplombe les rails, son préau dans lequel tu te reflètes si tu lèves la tête, comme sur Mars mais en plus flou, tu te reflètes en plus flou parce que pour les pauvres c'est toujours un peu plus flou. Ce même après-midi, le bâtiment qui transpire la pauvreté est frappé par la foudre. Coupé en deux de haut en bas, un feu le prend, un feu qui ne s'arrête pas, un feu qui nargue les pompiers et les épuise. Ils l'arrosent toute l'après-midi, toute la nuit, et toute la mâtinée du lendemain. La gare est fermée. Le bâtiment qui transpire la pauvreté est démoli. 
Les gens qu'on ne voit jamais, on ne les a toujours pas vu. On a vu toutes leurs affaires, t-shirts, fours, tables, chaises, paniers à linge en plastique, poussettes, canettes de bière, brosses à dents, chemises de nuit, bouteilles d'eau, arrosoirs, tapis, télévisions, toilettes, mélangées aux gravats, mélangées en morceaux aux morceaux des murs. On a vu.